Quand l’imaginaire devient refuge
- Manon Arbaud
- 5 juil.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 juil.
J’ai longtemps pensé que ceux qui écrivaient des romans étaient d’un autre monde. Un monde fait de chapitres, de héros, d’intrigues cousues main. Un monde dans lequel on entre à l’aise, avec son stylo comme baguette magique et des idées en rafale à toute heure du jour.
Spoiler : ce n’était pas mon cas !
J’ai commencé à écrire vers 15 ou 16 ans, mais ce n’était pas pour inventer des histoires. C’était pour survivre à la mienne.
Ma première plume a été thérapeutique, intime, pudique. Et puis un jour, dans un atelier d’écriture, on m’a proposé d’imaginer un personnage qui ne me ressemblait pas. Et là…Quelque chose a basculé. J’ai ri. J’ai fui. J’ai osé.
Et j’ai compris que jouer avec les mots, ce n’était pas trahir leur sens. C’était parfois les faire parler plus fort encore.
Fuir, vraiment ?
On accuse souvent l’imaginaire d’être une fuite. Mais franchement : fuir quoi ? Le prix de l'électricité ? Les papiers de la CAF ? Le bruit de la perceuse chez le voisin ? Très bien, fuyons !
Plus sérieusement : s’évader pour mieux tenir debout, ce n’est pas de la lâcheté. C’est une stratégie de survie. L’imaginaire permet ça. Il crée un interstice dans le réel. Un pas de côté pour reprendre son souffle. Une altitude nouvelle pour regarder sa vie sans s’y noyer.
Et puis, parfois, on y découvre un autre soi. Un soi plus libre, plus vaste, moins formaté.
Alors non, ce n’est pas “la vraie vie”. Mais c’est une vraie manière de vivre mieux.
La fiction, ce miroir déformant… très révélateur
Écrire de la fiction, ce n’est jamais complètement inventer. Même lorsqu’on change les noms, les lieux, les époques, on met toujours un bout de soi dans ce qu’on écrit : un questionnement, une colère, une tendresse, un regret.
Je vois passer, dans mes accompagnements, des personnes qui ont besoin de flouter leur histoire pour pouvoir l’écrire.On bascule alors dans ce qu'on appelle le roman biographique. Une fiction avec une colonne vertébrale vraie, mais habillée autrement. Et là, quelque chose se débloque. Le fait de pouvoir choisir ce qui est vrai, ce qui est imaginé, ce qu’on garde ou ce qu’on transforme… redonne du pouvoir.
C’est paradoxal, mais c’est souvent en “inventant” qu’on se sent enfin libre de se raconter.
Les contraintes libératrices
On croit parfois que stimuler l’imaginaire, c’est une affaire d’illumination. D’étincelle soudaine. Mais non. Souvent, c’est une affaire de… contrainte.
Les contraintes d’écriture — de style, de structure, de sujet — sont des tremplins. Elles provoquent des rencontres entre des idées qui n’auraient jamais pensé se croiser. Elles nous poussent à sortir de notre zone de contrôle, à explorer des voix qu’on n’avait jamais entendues en nous.
C’est en posant des limites qu’on agrandit le terrain de jeu. (Oui, je sais, c’est contre-intuitif. Mais c’est tellement vrai.)
Et si on arrêtait d’opposer le réel et l’imaginaire ?
Ce que je défends, c’est une coexistence. On a besoin de concret. Mais aussi de flou.
De factures à payer. Et de dragons à inventer.
D’écriture de soi. Et d’écriture du “si j’étais quelqu’un d’autre…”
Et l’un nourrit l’autre. Imaginer et s'évader, ce n’est pas nier sa vie. C’est l’élargir.
Ce que je retiens, aujourd’hui
Je n’ai pas toujours su que j’avais une voix fictionnelle. Elle s’est révélée tard, doucement, en atelier, en nouvelle, en roman en gestation.E t pourtant, elle était là. En attente.
Si vous vous reconnaissez là-dedans — si vous écrivez pour vous comprendre, mais que l’envie de fiction vous titille — je vous dirais simplement : laissez cette envie exister. Pas pour devenir écrivain·e. Mais pour voir ce que vous pouvez devenir en écrivant autrement.
Et si vous êtes déjà du côté de l’imaginaire, alors vous savez : parfois, c’est la fiction qui nous ramène au plus près de notre vérité.
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