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Faut-il tout écrire, tout dire ? Quand la biographie devient un terrain de vérité(s)

  • Photo du rédacteur: Manon Arbaud
    Manon Arbaud
  • 19 juil.
  • 3 min de lecture

Certains livres déclenchent des vagues. Non pas pour ce qu’ils proposent, mais pour ce qu’ils révèlent.

Cela fait quelques jours que le monde de l’édition est en branle : les cent ans du tristement célèbre Mein Kampf ont ravivé un débat toujours brûlant. Faut-il tout publier ? Jusqu’où l’édition peut-elle aller au nom de l’Histoire ?

Ce n’est pas l’ouvrage lui-même qui m’intéresse ici, ni son contenu qui n'est plus à commenter. Mais le débat qu’il suscite me semble fondamental — parce qu’il entre en résonance avec une question récurrente dans mon travail :

Faut-il tout dire ? Faut-il tout écrire ?


Une question qui revient toujours

Mes clients me posent très souvent cette question. Par pudeur, par loyauté, par peur du conflit ou du jugement. Ils écrivent pour transmettre, mais aussi pour apaiser, éclairer, parfois réparer.


Et la question finit toujours par surgir : Est-ce que j’ai le droit de dire ça ?

Ou au contraire : Suis-je obligé de parler de ça ?

Ma réponse est toujours la même : Dans un premier temps, ne vous censurez pas ! Posez tout ce qui vous vient, et nous trierons plus tard.


Car un projet biographique n’est pas une simple rédaction. C’est un véritable processus. Pas forcément pour publier. Pas pour régler ses comptes. Mais pour mettre les mots, les vrais, sur ce qui a été tu, tué, ignoré ou minimisé.

Mon rôle, dans un premier temps, est de recueillir cela avec justesse, sincérité, et respect. Je fais en sorte que chaque passage trouve sa juste place dans le respect de toutes les personnes concernées.

Et ensuite seulement vient le choix de ce qui restera, ou non, dans le manuscrit final. Le client est libre de choisir de supprimer ou modifier tout ce qu'il voudra.


On peut effacer, taire, romancer, anonymiser. Mais on ne peut pas transformer ce qui n’a pas été exprimé.


Écrire pour se libérer, pas pour nuire

Je repense à une cliente rencontrée l’an dernier. Au crépuscule de sa vie, elle avait ce besoin irrépressible de dire. Dire sa vérité, non pas pour faire scandale, mais pour exister enfin au milieu du récit familial.

Elle m’a parlé de son mariage, de ses désillusions, de la manière dont elle avait été traitée par certains membres de sa famille. C’était brut, direct, sans détour.

Parfois je me sentais mal à l’aise d’écrire avec tant de franchise. Mais elle, elle en sortait soulagée, allégée.

Quand nous avons terminé notre travail ensemble, elle m’a remerciée :

"C’est ce que j’avais besoin de dire. Ce que mes enfants doivent savoir. Et quant à mon mari… il ne fera que lire ce qu'il sait déjà."


Je savais déjà que la biographie n’est pas toujours une célébration. Ce jour-là me l’a rappelé avec force. C’est parfois un acte de courage. De réappropriation. D’émancipation. De pardon aussi. Pas pour adouber ceux qui nous ont blessé, mais pour se libérer soi de la rancœur, et panser ses plaies.


La loyauté peut aussi se négocier

Écrire sur sa famille, c’est naviguer dans un océan de loyautés. À ses parents. À ses enfants. À sa culture. À ce qu’on nous a appris à ne pas dire.

Mais j'ai la conviction que la loyauté ne doit pas se faire au prix de soi-même. Et parfois, la meilleure fidélité qu’on puisse offrir à sa lignée, c’est de raconter ce qui a vraiment été. Même si cela dérange.

Cela ne veut pas dire tout publier. Cela veut dire tout accueillir.

Et dans le cadre d’une biographie — qu’elle soit privée ou publiée — ma mision consiste à offrir cet espace-là. Celui où tout peut se dire, sans jugement et sans risque.


Parce que parfois, se dire, c’est enfin exister

Écrire, ce n’est pas faire le procès de qui que ce soit. C’est mettre au jour des sensations, des douleurs, des évidences que l’on a longtemps niées.

C’est sortir du mutisme. C’est déposer. C’est faire la paix avec une version de soi qu’on n’a jamais autorisée à s’exprimer.

Alors oui, il y a des récits difficiles à accueillir. Mais tant que l’intention est juste, sincère et non destructrice, alors ces récits ont leur place.

Et s’ils ne sont pas faits pour être diffusés, ils ont au moins besoin d’être dits. Pour soi. Pour les proches. Pour la mémoire.


Car tout ce qui est tu se répète. Tout ce qui est dit peut, un jour, se transformer.


🪶 À lire bientôt : “Romancer sa vie : quand la fiction devient l’alliée du réel”

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