L’IA et le métier d'écrivain
- Manon Arbaud
- 19 sept.
- 4 min de lecture
Depuis quelques années, l’intelligence artificielle s’invite partout : dans les entreprises, dans la création artistique, et même dans les ateliers d'écrivains. Elle séduit par sa rapidité, par la fluidité de ses textes, par sa capacité à produire, en quelques secondes, ce que l’on met parfois des jours à rédiger. Certains se demandent alors : à quoi bon faire appel à un écrivain, un biographe, un coach littéraire, si une machine peut le faire pour moins cher et plus vite ?
La question est légitime. Mais elle révèle aussi une confusion : écrire n’est pas seulement produire un texte. Écrire, c’est donner une voix, un rythme, une profondeur. C’est transformer une parole fragile en récit incarné. Et cela, aucune machine, aussi sophistiquée soit-elle, ne pourra le faire à la place d’un être humain.
Quand la promesse technologique se brise
Il m’est arrivé plusieurs fois de rencontrer des clients qui avaient tenté l’expérience. Curiosité, économie, envie de tester "la magie" des algorithmes : ils avaient confié à une IA le soin de rédiger leur biographie, ou d’ébaucher un roman inspiré de leur histoire.
Le résultat ? À première vue, pas si mal. Les phrases étaient correctes, le texte tenait debout. Mais très vite, le malaise s’est imposé : c’était lisse, générique, sans aspérités. Comme si leur vie avait été passée à travers un filtre standardisé, où les détails les plus intimes, les contradictions les plus riches, avaient été effacés.
L’un d’eux m’a confié :
« J’ai eu l’impression de lire ma vie écrite par quelqu’un d’autre... C’était moi, mais ce n’était pas moi. »
Cette phrase dit tout. Le récit était là, mais l’âme avait disparu. Finalement, ces clients sont venus me voir. Nous avons repris ensemble leur projet, pas à pas. Et nous avons retrouvé ce qui manquait : la respiration, la nuance, le rythme qui fait qu’un texte ne raconte pas seulement une histoire, mais incarne une voix.
Le métier de biographe : artisan du singulier
Une IA fonctionne sur des modèles statistiques : elle génère des phrases en fonction des probabilités les plus élevées. Elle calcule, elle imite, elle assemble. Mais une vie, elle, ne se laisse pas réduire à des probabilités. Elle est faite de décalages, de failles, d’accidents, de moments minuscules qui ne ressemblent à rien d’autre.
Un biographe ne cherche pas à écrire "le texte le plus probable". Il cherche à écrire "le texte juste". Celui qui capte la singularité d’une personne, dans ses forces comme dans ses fragilités. Celui qui met en lumière ce qui, précisément, échappe aux statistiques.
Écrire une biographie, c’est tendre l’oreille à ce qui tremble dans la voix d’un narrateur, c’est recueillir une anecdote en apparence insignifiante mais qui, en réalité, contient toute une vie. C’est accueillir les silences, les hésitations, les contradictions, et les transformer en récit cohérent sans jamais les trahir.
L’IA comme outil, mais pas comme voix
Faut-il pour autant rejeter l’intelligence artificielle ? Non. Elle peut être une alliée précieuse. Elle peut aider à organiser des notes, à vérifier des informations, à produire des brouillons techniques. Mais confier à une machine le soin d’écrire une vie entière, c’est un peu comme demander à un automate de jouer une symphonie : les notes seront là, mais la musique manquera.
La différence entre l’IA et l’écrivain, c’est le souffle. Là où la machine génère du générique, l’écrivain fabrique du singulier. Là où l’algorithme propose des mots "probables", l’écrivain choisit des mots "justes". Et ce choix n’est pas un calcul : il est une rencontre.
Une expérience de transmission
Confier son histoire à un biographe, ce n’est pas seulement commander un livre. C’est vivre une expérience. C’est dialoguer, revisiter son passé, trouver du sens dans ce qui semblait épars. Parfois même, c’est guérir une blessure en lui donnant une forme.
Le livre qui naît de cette rencontre n’est pas un simple assemblage de phrases. C’est une trace, une mémoire, un héritage. C’est une manière de dire : "J’ai vécu, et voici ce que je transmets."
C’est là que réside la vraie valeur du métier : non pas dans la production de texte, mais dans l’accompagnement humain, dans la co-création, dans ce chemin parcouru ensemble.
Résister à la tentation de l’interchangeable
L’intelligence artificielle nous fascine, mais elle nous confronte aussi à un risque : celui de croire que toutes les vies peuvent se raconter de la même façon, à travers des modèles prédéfinis. Or une vie n’est pas interchangeable. Elle mérite un récit qui lui ressemble, un récit incarné.
Écrire une biographie, c’est donc un acte de résistance : c’est affirmer que chaque existence compte, dans sa singularité irréductible. C’est dire non à la standardisation, et oui à l’unicité de chaque voix.
En conclusion
L’intelligence artificielle bouleverse notre rapport à l’écriture. Mais en même temps, elle met en lumière — plus que jamais — la valeur irremplaçable de l’écrivain et du biographe.
Une machine peut produire du texte. Mais seul un être humain peut accompagner une personne dans la traversée de son récit. Seul un écrivain peut capter les nuances, les silences, les tremblements qui font la vérité d’une vie.
C’est pourquoi, loin d’affaiblir le métier de biographe, l’essor de l’IA lui redonne tout son sens : il nous rappelle que, face aux algorithmes, rien ne remplacera jamais la présence d’une voix humaine.
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